lundi 22 juin 2020

Méfiez-vous du philosophe !

Donc, le nouvel ennemi, l'intellectuel à abattre, ou à "brûler" selon l'article du "Grand Continent", sur le bûcher des hautes valeurs morales de La Gauche – bien-pensante, toujours ! – c'est désormais Michel Onfray, le "néo-nationaliste".



Non pas Onfray le prof qui a quitté l'Éducation Nationale pour créer l'Université Populaire afin de lutter contre le FN, ouvrant ainsi les portes de la philosophie aux prolétaires ; non pas l'auteur du "Traité d'Athéologie", intouchable ; pas non plus le nietzschéen hédoniste, roué à la contre-attaque, ni l'auteur  de la "Brève Encyclopédie du Monde" – pas touche aux best-sellers ! Non : Michel Onfray le journaliste :  celui de "Penser l'Islam", de "Grandeur du Petit Peuple" et récemment de "Front Populaire". Michel Onfray, le Stakhanov de la plume, le ténia des media, celui qui se pique d'informer et d'édifier hors-cadre mainstream sur la réalité du monde. Quelle insolence pour un philosophe !

Sa faute ? Penser à gauche, en dehors des clous plantés par "La Gauche" dans le cercueil du peuple, ce peuple qu'elle a abandonné en rase campagne quand, perplexe, il s'est enfin autorisé à lui demander des comptes.

Que lui reproche-t-on, précisément ? De prendre la défense des petites gens contre les clercs et les élites autoproclamées, de dire et de prouver que la démocratie s'est éloignée des Français en quittant Paris pour Bruxelles. Que la-dite démocratie, c'est inéluctablement l'expression d'un peuple souverain sur un territoire géographiquement et politiquement constitué. Et que cette expression trouve sa vérité indépassable dans l'exercice du référendum. 
Ce que proclame également notre Constitution, soit dit en passant. 

En réalité, derrière cette vitrine, finalement athénienne, ce que la Nomenkaltura médiatique ne supporte pas chez Onfray, c'est qu'il ait toute la rhétorique à sa disposition en magasin, et donc régulièrement, contre les journalistes parisiens, le dernier mot. Qu'il les prive ainsi de leur fonction principale : l'info-tainment : le formatage ludique de l'opinion, la manipulation douce, le mantra hypnotique, le sommeil de la raison.

Veux-t-on lui faire avouer qu'il est nationaliste ? Il précise les termes : nationaliste, c'est chauvin, voire xénophobe ; souverainiste, c'est démocrate. Veux-t-on le coincer dans l'angle populiste ? Il s'érige contre les populicides, ceux qui ont balayé le référendum de 2005 deux ans plus tard, avec la même morgue à droite qu'à gauche. Quel que soit le cadre que les media lui tendent, Onfray dépasse, déplaît, agace.

Dernièrement, la team-media croit tenir le piège ultime contre lui : un débat en direct avec le vilain Zemmour. Qu'ils tombent d'accord et l'extrémisme de l'un révélera le nationalisme de l'autre ; qu'ils s'affrontent et d'une pichenette, l'arbitre du débat fera basculer l'un dans le camp des gauchistes anti-patriotes, puisque l'autre est notoirement néo-fasciste ! 
Là encore, mauvaise pioche : le débat, pour contradictoire qu'il fut, resta policé. Serein. Civil.

Spoliée du buzz attendu, la team-media se fendit d'articles et d'éditos assassins. S'ils échangeaient sans s'écharper, ce n'est pas parce qu'ils se respectaient assez pour s'écouter, mais évidemment parce qu'ils partageaient les mêmes valeurs ; s'ils participaient du même "style souverainiste", c'est qu'ils pensaient la même chose. S'ils n'avaient pas la bave au lèvres, c'est qu'ils étaient complices ! La poignée de main de Montoire pointait le bout de son gant...

Espérant creuser un peu plus leur tombe et ramant à grands coups de stylos, certains analystes voulurent détailler cette connivence supposée : ils falsifiaient tous les deux l'histoire dans le sens qui convenait à leur programme idéologique, probablement commun ! Onfray le Girondin, un anti-Robespierre donc, serait attiré par les fumets sulfureux du Boulangisme, cet ancêtre de la Cagoule. C'était limpide... comme l'encre d'un stylo !

Outre que l'histoire – "ce brouillard qui jamais ne sédimente" – est sans cesse en mouvement selon qui la regarde, selon les passions et les espérances du temps, il existe autant d'historiens que d'histoires : des historiens de droite et d'autres de gauche ne disent forcément pas la même chose de mêmes événements, d'un même personnage. Que deux intellectuels, politiquement opposés, puissent partager certaines perceptions de notre passé, quel scoop ! Et quand ils divergent, s'ils restent courtois, c'est bien qu'il n'y a désaccord que de façade, sinon c'en est fini du clash, du buzz et du manichéisme en politique. Bref, de la télé !

La faute inaugurale de "La Gauche" depuis quarante-cinq ans, Onfray la révèle et la corrige avec "Front Populaire". C'est ce qu'elle ne lui pardonnera pas : quarante-cinq années d'erreurs, de reniements et d'abandon du peuple.
Quelles erreurs ? De s'être complue dans le spectacle du combat fratricide entre la droite et l'extrême-droite, et de s'être assoupie sur les lauriers confortables de la moraline au lieu de poursuivre, rose et faucille au poing, l'âpre combat politique. De s'être "embourgeoisée" !

Il était urgent de comprendre la désaffection du peuple envers "La Gauche", et de "La Gauche" envers le peuple. Reprendre le débat impliquait de renouer avec ceux auxquels "La Gauche" avait depuis trop longtemps tourné le dos en se bouchant le nez (!). 
C'est ce travail ingrat mais indispensable et stimulant que tente Onfray avec "Front Populaire".

En accueillant dans ses colonnes la droite, la gauche et quelques extrêmes, Onfray renoue avec le combat pied à pied, en intellectuel fantassin. On tente de le comparer à ce que l'histoire a conservé de plus trouble parmi ces tentatives de rapprochement : au Général Boulanger, qui attira socialistes et nationalistes, et auquel le défunt Zeev Sternhell imputa imprudemment la naissance du national-socialisme ; ce qui est fort hasardeux, tant ce mouvement syncrétique n'eut pas le temps de livrer une idéologie politique structurée lors des cinq pauvres années qu'il dura. 
Et puis, qui sait comment apparaitra le Boulangisme dans les luttes à venir, pour les historiens du futur ?

L'Histoire dira si cet ultime effort pour "fédérer le peuple" permettra de redynamiser la démocratie française, ou si cette dernière s'est définitivement flétrie, fossilisée, perdue dans le labyrinthe Bruxellois. L'Histoire, et certainement pas les media.