mercredi 11 janvier 2023

Philosophie de la retraite

Le Gouvernement tente de faire passer la réforme des retraites pour un simple problème comptable : il y aurait des difficultés à maintenir une couverture suffisante entre cotisants et retraités pour financer le système actuel par répartitions dans les années à venir.
Il faudrait donc augmenter la durée légale du travail, le nombre d'annuités de cotisations, pour "sauver le système". Sous-entendu "notre superbe et efficace système par répartition".



Mais la question de la retraite des travailleurs, salariés, artisans, artistes et autres cotisants, n'est pas un problème de chiffres : c'est une question de philosophie !

Comment voulons-nous vivre ? Comment souhaitons-nous - puisque c'est inéluctable - vieillir ?

Si nous acceptons de vivre en société, d'y payer des impôts, c'est pour que notre organisation sociale permette à chacun de vivre le mieux possible, socle de la paix civile, d'améliorer nos conditions de vie à chaque génération, grâce aux progrès de l'éducation, de la connaissance et des techniques, et d'être protégés au mieux des aléas et impondérables de l'histoire. C'est l'obligation de l'État.

Sinon, l'ascétisme du reclus, la misanthropie et l'individualisme seraient de mise. Et les malheurs bien plus fréquents. Un retour aux temps anciens.

La retraite par répartition est un système social de retraite possible, mais pas le seul.

Sa philosophie est simple : puisque arrivés à un certain âge, nous ne sommes plus en capacité de travailler et de produire sans souffrance, par fatigue, par maladie, bref par "vieillesse", la société a accepté de différer une part de la richesse collectivement produite (les cotisations) pour la reverser aux "ayant-droit", une fois atteint l'âge de la retraite, c'est à dire de la sortie du système productif.

Voilà quelque chose de fondamentalement humain : je me prive aujourd'hui d'une - petite - partie de mon pouvoir de vivre pour pouvoir continuer à vivre dignement une fois que l'âge ne me permettra plus de produire pour la collectivité. C'est le système de l'assurance maladie, de l'assurance chômage, des assurances en général.

D'autres systèmes sont possibles : par exemple, plutôt que m'en remettre au cadre collectif, je m'occupe de moi-même, j'épargne individuellement, et je me constitue mon "capital retraite" sans amputer quiconque de son pouvoir d'achat, de cette fraction de salaire qui part dans une caisse commune, gérée par des "partenaires sociaux".

Ce qui diffère profondément dans ces deux systèmes, c'est d'une part la résistance du tissu social, et d'autre part la gestion de cette "richesse différée" : dans un cas, ce sont les "partenaires sociaux", dans l'autre les banques.

S'il n'y a pas d'objection à ce que des personnes aisées puissent épargner pour leur retraite, on peut convenir que pour une majorité de citoyens ce soit impossible, par exemple pour les 10% de smicards qui peinent à boucler les fins de mois. Ce système imposé conduirait à une rupture d'égalité, entraînant une déchirure du tissu social entre classe bourgeoise et classes populaires. Et à terme, la fin de la République.

D'ailleurs il n' y a pas besoin d'imposer ce système : la bourgeoisie, les classes aisées, épargnent sans qu'il soit besoin de les y obliger.

Dans la répartition, l'État apporte une garantie de financement, même s'il ne gère pas directement les caisses de retraite.
Dans la capitalisation, on a pu voir en 2008, avec l'effondrement des banques et de l'économie, que de nombreux retraités "épargnants"... avaient tout perdu de ce bas de laine constitué au long de leur vie... Certains devant même retourner travailler pour simplement pouvoir survivre !

Est-ce cette société que nous voulons pour nous et nos enfants ? Est-ce que l'injustice sociale est un projet viable ?

Si la réponse est "non", il faut donc se donner les moyens de maintenir le système par répartition, et d'abord en le dotant conformément aux prévisions démographiques : ce que l'État français n'a pas fait pendant les quarante années précédant l'arrivée des "baby-boomers" à l'âge de la retraite ! 

La politique consiste à décider d'un avenir souhaitable, et à mobiliser les moyens pour y parvenir. Si on peut trouver de l'argent magique pour armer un pays étranger, ou le reconstruire après une catastrophe naturelle, ne serait-il pas possible d'en dégager pour le peuple français vieillissant, au moins le temps que la vague des boomers passe et s'éteigne...?

Le fin mot de l'histoire, évidemment, se trouve du côté des classes dirigeantes, qui sont aussi les classes opulentes, les classes épargnantes : toutes ces caisses collectives, retraites, sécurité sociale, chômage, gérées paritairement, échappent au capitalisme, aux banques, à l'investissement productif, à la machine économique qui s'enrhume ; pour aller aux improductifs, aux malades, aux vieillards, aux sans-emploi !

C'est donc bien de philosophie qu'il s'agit d'abord, et de gros sous ensuite.

Eh oui ! Mises bout-à-bout, toutes ces caisses qui échappent aux prédateurs de la finance internationale - le fameux "adversaire" de François Hollande ! - constituent un pactole qui les fait fortement saliver : il s'agit tout de même d'une enveloppe avoisinant les 900 milliards d'euros !

Citoyens, sommes-nous devenus fous au point de lâcher la proie pour l'ombre ?