jeudi 29 novembre 2018

Le lent naufrage de la marchandise



C'est au cours de la dernière décennie que l'arnaque s'est révélée en pleine lumière dans le paysage politique français. Sa première occurrence médiatique fut l'œuvre de Laurence Parisot alors patronne des patrons, dans une interview donnée au "Monde". Elle indiquait très clairement qu'il fallait en finir avec un certain modèle économique qui ne générait plus de croissance, et passer à "une autre économie".

La seconde occurrence fut l'annonce officielle de la mise en oeuvre du projet patronal par le premier président de la République qui n'osa pas tenter un second mandat, son bilan se taisant pour lui.

Cette arnaque, comme souvent en matière économique, venait des USA où elle avait connu son heure de gloire avec l'avènement d'un acteur, non pas à Hollywood où sa médiocrité n'était pas mise en doute, mais à Washington d'où elle pourrait bientôt rayonner sur le monde !

L'économie est assez généralement définie comme "l'ensemble des moyens de production et d'échanges des biens et des services permettant la satisfaction des besoins humains". On peut dire également que c'est "l'histoire de l'humanité vue sous l'angle de la satisfaction de ses besoins". 

Mais il s'est alors trouvé, lors de ces décennies passées,  que la satisfaction des besoins humains ne produisait pas suffisamment de croissance pour, rapidement et d'un même mouvement, gaver les nantis et détruire la nature ! 

Il fallait donc inverser l'équation et décider que le but de l'économie n'était plus de satisfaire des besoins, mais d'écouler des productions : il fallait passer d'une économie de la demande - qui tendait à rester stable - à une économie de l'offre - qui offrirait une croissance infinie et la transformation de la Terre, nécessaire, en marchandises, contingentes !

Plutôt qu'attendre l'émergence des besoins, on allait produire des biens et des services, puis en susciter l'achat par le marketing, la publicité, l'hypnose, la peur, le lavage de cerveau, l'intimidation... (les techniques sont multiples et les media omnipotents.)

Le président pusillanime fit une synthèse habile en proposant une "politique de l'offre", c'est à dire un package sous blister de la production de marchandises combinée au gouvernement du pays, où ni le consommateur ni le citoyen n'aurait plus aucune part à prendre : on venait de leur expliquer à tous deux, limpidement, qu'on se foutrait désormais de leur opinion !

Nous commençons aujourd'hui à percevoir toute la finesse de l'opération, poursuivie et amplifiée par Emmanuel Macron, accompagnée des résultats merveilleux qu'il était loisible d'en attendre : la paupérisation des classes exploitées, l'explosion nucléaire des inégalités, la dégradation irréversible de l'environnement, et le peuple qui prépare son insurrection...

Croire qu'un acteur de western médiocres était capable de conduire l'humanité sur la voie d'une prospérité sans fin est une illustration éblouissante de ce dont sont capables les économistes : entraîner l'espèce humaine à la destruction. 

Marx l'avait d'ailleurs annoncé de manière plus concise : "l'économie politique est le reniement achevé de l'Homme".





mercredi 14 novembre 2018

La tectonique des classes



Eût-il accepté de lâcher quelques pouces du pouvoir, Louis XVI pouvait conserver la tête du pays et par conséquent la sienne.

Mais cela lui fut impossible, prisonnier qu'il était du dogme catho-monarchique, lui, l'élu  de Dieu sur Terre. Pour n'avoir pas été plus souple face à la grogne, à la vindicte, puis à la haine qui montait du peuple, des gueux qui ne voulaient qu'une constitution ont fini par exiger la république ; et sa tête.

Deux siècles après les Deo-monarchistes, les libéro-Macronistes font aujourd'hui la même erreur : il s'entêtent quand il faudrait reculer, s'arc-boutent quand il faudrait plier, ils persistent quand tout leur montre qu'ils sont dans l'erreur ! Ils passent outre, oubliant qu'ils ne sont gonflés que de leur propre  suffisance.

Subiront-ils le même sort que la noblesse d'ancien régime ? Il est tentant de le croire tant les mêmes causes produisent les mêmes effets : faire une pause, faire un pas, faire un geste pouvait éviter le glissement vers la Terreur. Le roi ne l'a pas voulu, certain qu'il était de son absolu "droit divin".

Macron ne le veut pas non plus : héritier d'un libéralisme tout aussi absolu, élu du Marché, égal de Jupiter, il croit son destin gravé dans l'or de la BCE. Il ne peut pas échouer puisqu'il ne réussit rien ; il a raison puisque tout indique qu'il se trompe ! Il sera vainqueur puisque le peuple veut sa défaite...

Les grands bourgeois, les aristocrates — de charge, de naissance, de mérite — croient toujours que leur bonne fortune est une grâce qui brille sur leur front parce que des fées se sont penchées sur leur berceau. Qu'en quelque sorte, ils sont bénis. Que les anges du business les protègent.

Ils ignorent, ou ne veulent pas voir, que les sociétés humaines sont des océans furieux de magma en fusion sur lesquels sont ballottées des classes sociales antagonistes, toujours en sursis, qui s'entrechoquent parfois jusqu'au naufrage.

Une "tectonique" des classes, en tout point semblable à celle qui permit à Wegener de comprendre les tremblements de terre, les tsunamis, le surgissement des chaines de montagnes ; les éruptions volcaniques.

En temps normal, dans une société apaisée, où sont ensemble possibles le dialogue et la promotion sociale, ces classes tectoniques se font face mais ne s'affrontent pas : elles s'ajustent et, quand à cause d'aspérités inattendues, elles s'accrochent, elles utilisent  les vertus médicinales d'un onguent apaisant qui a fait ses preuves : la négociation.
Après tout, dans ces sociétés, c'est le peuple qui gouverne : il est donc légitime à se révolter si ses représentants le conduisent vers l'abime.

Macron ne négociera pas. Il donnera des ordres et viendra à la télévision nous dire ce qu'il en pense. Ce qu'il pense de nous. De notre bêtise ; de notre incapacité à comprendre son génie, à deviner le monde merveilleux qu'il construit. Pour lui, et pour le Marché. Uniquement.

Donc, les classes vont s'affronter, une fois encore. La classe minoritaire, savante, structurée, fera bloc et ne cédera pas un pouce face à la multitude, indolente, velléitaire, anarchique, qui poussera, poussera, et peu à peu se constituera, s'agglomérera, se solidifiera, pour finalement pulvériser dans un puissant séisme le mur de privilèges qui l'empêchait d'avancer.
(La classe la moins nombreuse disparaîtra dans les tréfonds de son entêtement. Ce que fera ensuite l'autre classe dépendra de sa propre lecture de l'histoire : un nouveau système de domination, une société sans classes ?)

Cette scène s'est déjà produite, plusieurs fois, au cours de l'histoire ! Et si l'on veut éviter un carnage, une nouvelle terreur, la tête d'un Monarc au bout d'une pique — ou bien le retour à l'ordre moral Deo-monarchiste ! — il serait bon que tout le monde revienne, rapidement, à des raisonnements plus démocratiques ; plutôt qu'à des sentiments plus chrétiens.



jeudi 26 juillet 2018

Vous n'êtes pas obligés de me croire...


Vous n'êtes évidemment pas obligés de me croire, je suis un très mauvais pronostiqueur, en foot comme en politique. 
Mais ce coup là, je l'avais vu arriver.
Les circonstances particulières de ma vie personnelle n'y étaient sans doute pas étrangères : j'était amoureux d'une autre, ma femme avait une liaison, et nous nous préparions, alors que j'approchais de la soixantaine, à mon premier divorce ; deux enfants, trente ans de vie commune. J'envisageais également de quitter le Parti socialiste, qui n'était déjà plus un parti si jamais il avait été socialiste...
Bref, une configuration nouvelle, une projection dans un avenir inattendu, une tournure d'esprit soudain rafraichie.
Et un contexte politique étrange : un président duquel j'avais en 2014 annoncé la chute vers les oubliettes (Hollande, le pays bas).

Mais celui dont il est ici question, c'est bien évidemment de son successeur, Emmanuel Macron.


Quand je l'avais vu pointer son museau, pressenti par Hollande pour succéder à Montebourg, j'avais flairé l'embrouille : un secrétaire général de l'Élysée, jeune, falot, sans fief électoral, bombardé à Bercy, ça sentait trop fort la mise en orbite. Quelques semaines plus tard, un happening médiatique montrait Hollande couvant son petit protégé, et ne tarissant pas d'éloges...

C'est là que ça a fait "Tilt" ! Je me suis dit "tiens, il prépare son plan B !" Une jolie marionnette, sans talent politique, capable d'obéir, qui lui devra son ascension : Hollande se prépare à ne pas se représenter, en cas de sondages désastreux ; et à mettre un ventriloque à sa place.

Et puis immédiatement, j'ai pensé : "C'est trop gros, ça va se voir, les media vont désamorcer le pétard illico !"
Pas un mot, pas un bruit. Toute la classe médiatique a fait silence. Ils ont regardé ailleurs. 

Ils savaient...

Et à ce moment, probablement à cause de ma situation nouvelle, j'ai pensé différemment. 

Et je me suis souvenu de cette phrase de Frank Zappa, un compositeur américain : "La politique, c'est le département divertissement du complexe militaro-industriel".
Hollande ne décidait de rien. Le petit banquier lui avait été imposé par la grande banque. Si les indices du président ne s'arrangeaient pas, on lui dirait de laisser la place, les enjeux étaient trop importants et il n'était pas de taille : il n'était ni capitaine d'industrie, ni gestionnaire de fonds, ni milliardaire ! 
Si pour la population Hollande apparaissait comme une étoile brillante du firmament politique, pour les décideurs du casino mondial il n'était qu'un vague croupier, pas même un directeur des jeux ! 


Je n'ai pas pensé "complot" ou "conspiration", je me suis dit : "ces gens protègent leurs intérêts, ils mettent des gens de confiance aux postes de décision de la banque, de la politique et des media". 
Tout plutôt que la gauche et la fin de leur domination.

À partir de là, le théâtre s'est mis En Marche. On a monté les curseurs media de Le Pen et Macron, bousculé ceux de Hamon et Mélenchon, torpillé Fillon... Et les banquiers ont mis un des leurs dans le fauteuil de l'Élysée !

Seulement, leur inculture politique n'avait pas anticipé l'attitude de sale gosse parvenu du nouveau président, qui entendait bien montrer à tous qui il était : un sale gosse parvenu.


La crise politique actuelle trouve ses racines dans l'ascension trop rapide d'une mauvaise graine, dans les calculs un brin foireux des maîtres de l'économie mondiale : la politique, ce n'est pas QUE du show-business. Il y a des peuples derrière, des citoyens, des forces sociales en interactions, une Histoire.

Et ça, ça n'apparait pas sur leurs bilans comptables.