dimanche 7 juin 2015

Qui a besoin de "dirigeants" ?



Si on inverse la citation majeure de Clausewitz, on obtient une phrase qu'Henri Laborit (Vendéen !) aurait probablement pu signer : "La politique, c'est la continuation de la guerre par d'autres moyens".
Voilà de quoi interroger sur la nécessité pour une nation d'élire des dirigeants politiques...
Leur incapacité à conclure des diagnostics pertinents, leur impossibilité à imaginer des réformes efficaces – et consensuelles puisqu'efficaces – leur propension a tenir des discours creux et emphatiques, à se faire élire sur des programmes qu'ils ne mettent pas en œuvre, à voter des lois inutiles ou inapplicables, à truster les postes de décision, à décider de comment nous devons vivre sans tenir compte de notre avis, à profiter largement des richesses que nous produisons, à ne jamais résoudre durablement quel que problème que ce soit... Tout cela n'en ferait-il pas plutôt de simples parasites de notre organisation sociale ?
La question mérite réflexion : je n'ai jamais entendu quiconque dire que tel politique avait changé son existence pour le mieux. L'exact contraire est beaucoup plus fréquent. On objectera quelques illustres exemples, rapidement réfutés : Charles de Gaulle était un militaire ; dès qu'il s'est mué en homme politique, il a pris des décisions catastrophiques, et ruineuses. Il a de plus réintroduit la monarchie dans la République ! Mitterrand a pu faire croire pendant deux ans et demi que le peuple commandait à son destin – si on excepte l'abolition de la peine de mort – avant de remettre les clefs de l'avenir aux seuls banques et chefs d'entreprises.
Y a-t-il un seul dirigeant politique qui ait réussi à "changer" quoique ce soit dans notre vie que nous n'aurions pas pu changer nous-même ?
En réalité, ceux qui se présentent comme l'avant-garde éclairée, les élites faites pour conduire le peuple, sont pour la plus grande part suivistes de l'évolution des mœurs, spectateurs du mouvement social, analystes des courbes statistiques, qu'ils traduisent par des tendances et des programmes dans le seul but d'assouvir leur propre soif de domination.
Cela peut sembler incroyable, mais il n'existe aucune autre justification à vouloir entrer dans la compétition politique que l'ambition personnelle.
Bien sûr, dit comme cela, ça peut paraître un peu sec, voire violent : on n'annonce pas tout de go à une personne qu'on veut séduire "mes hormones me poussent à vouloir procréer" sans prendre un risque certain. D'où la poésie et les discours politiques... Ceux-ci disent généralement la même chose : "je veux vous faire du bien !" 
Mais a-t-on vraiment besoin de signer un chèque en blanc à un inconnu pour espérer vivre bien ?
"Je n'ai jamais cru que rien dans le monde avait été fait dans l'intention précise de me faire plaisir. Les caves, pour dire le vrai, raisonnent toujours à l'inverse*". 
Serions-nous donc des caves, nous qui croyons que remettre nos libertés, nos destins et nos vies dans les mains de riches diplômés nous permettra d'accéder à un quelconque salut ?
Nous sommes désormais parvenus à des niveaux de connaissances, de communication, d'échanges tels que nous pouvons décider collectivement, sans avoir besoin de déléguer à d'autres qu'à notre appareil administratif, nos propres décisions. 
Qui commandera cet appareil ?
Nous-mêmes directement par le vote, éclairés par des débats organisés régulièrement, localement, par des conseils élus pour l'occasion, ou pas forcément élus : on tirait bien 12 jurés au sort pour savoir si un accusé devait vivre ou mourir, en cour d'assises ! L'Athènes de Périclès, à laquelle nous devons tant, fonctionnait par tirage au sort.
Il est grand temps de réformer notre fonctionnement collectif vers plus de transparence, d'efficacité et de responsabilité. Votons non plus pour des "représentants", qui nous représentent rarement, souvent nous mentent, parfois nous volent, mais pour des lois, des règlements et des normes : décidons de notre destinée.
Et pour représenter l'ensemble des citoyens, l'État, dans les débats internationaux ou régionaux, nous  délèguerons, selon les sujets abordés, tel ou telle de nos hommes ou femmes révérés, jugés compétents et désignés par la population concernée.
La Belgique, état moderne, a pu fonctionner entre juin 2010 et décembre 2011 pendant 541 jours sans autre forme de gouvernement que son appareil administratif ! Ironiquement, c'est justement à l'Université Nouvelle de Bruxelles que fut prononcée, en octobre 1895, époque où les socialistes comptaient en leurs rangs plus de penseurs que d'ambitieux, cette phrase célèbre : "l'anarchie est la plus haute expression de l'ordre", prononcée par un simple professeur de géographie, Élisée Reclus.
Puisse-t-il être bientôt possible de lui donner raison !



* "Cette mauvaise réputation..."  Guy Debord  (Gallimard)

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